Balance ton roc
Je vais vous parler d’amour, encore, me direz-vous ?!
De l’amour à l’ère de l’anthropocène. L’amour anthropophage, celui où les
hommes s’abîment, où les femmes s’épuisent et se ruinent, asservies, ou bien résistent
sourdement.
L’amour et son corollaire, le mensonge. Avec un grand aiMe !
Car lorsque la réalité dépasse la fiction, vite, plongeons dans la
fiction !
L’amour réserve bien des surprises, et pas toujours de bonnes.
Mon amour nous parle et nous montre avec une économie de
mots et de moyens (gravures en quadrichromie) des rêves d’amour, des tentatives
de séduction, de la jalousie, de la tristesse.
Mon amour, Paul Cox, Gallimard, Le sourire qui mord, 1992 |
La Barbe bleue de Charles Perrault évoque la violence et l’omnipotence
masculine exercée sur les femmes, la curiosité maladive de ces dernières. Mais
la curiosité peut être salvatrice. Elle est aussi le revers de la quête
insensée de la vérité. Ce conte nous parle de méfiance, de trahison, de la
norme sociale et conventionnelle lourde et carcérale que peut revêtir l’union
maritale. Hélène Bessette ne dit pas autre chose dans Le bonheur de la nuit, que l’aliénante société familiale.
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La Barbe bleue, Perrault, Battut, Bilboquet, 2000 |
Le mensonge est la face cachée de l’amour. L’amour sous toutes ses formes.
Amour physique, charnel, familial, filial, amour-propre, orgueil, narcissisme.
La fille qui mentait pour de vrai et Super
menteur traitent de ce besoin, de cette nécessité qu’ont certains de
transformer, d’aménager leur réalité, « pour me rendre intéressante », « pour sauver la mise et m’en tirer » reconnaît Kimberley. Aristide, qui se
sent laid et inintéressant, « gagne le droit d’être autre chose » en
mentant et s’invente un chien de combat pour se protéger de la brutalité de ses
camarades de classe et se valoriser.
La fille qui mentait pour de vrai, C. Grive, Rouergue, 2018 |
Super menteur, C. Alix, Magnard Jeunesse, 2015 |
Mensonge, dissimulation, mascarade, ruse, pourquoi ne pas le prendre comme un tout-venant,
avec un détachement doux-amer ? Ce qui est fait dans la très courte nouvelle
de Richard Brautigan Une réserve
inépuisable de pellicule de 35 millimètres :
« Elle devient la salle obscure
où il projette le film de ses rêveries sexuelles. Son corps est un amphithéâtre
de velours doux et vivant, menant à un vagin qui n’est que l’écran chaud de son
imagination, dans la douceur duquel il fait l’amour à toutes les femmes qu’il
voit et qu’il désire, comme de brèves images de vif-argent ; mais elle ne
se doute de rien. […] Les gens continuent à se poser la question, à eux-mêmes
et entre eux. Ils devraient savoir. La réponse définitive est très simple. C’est
dans sa tête, à lui, que tout se passe. »
La vengeance de la pelouse, R. Brautigan, 10/18, Christian Bourgois,1983
La petite fille qui ment dans Le
mensonge est rongée par la culpabilité galopante à la manière d’une œuvre hallucinatoire
de Yayoï Kusama et se demande si après la découverte d’un mensonge les gens
nous aiment et nous croient encore. L’histoire de Pinocchio nous donne la réponse, portée
par la puissance primale du trait et de la couleur de l’artiste Antonio Saura.
Le mensonge, C. Grive, F. Bertrand, Rouergue, 2016
À
celles et ceux qui se laissent prendre dans les mailles du filet des prédateurs
de tous poils, telle Sophia la petite
fille en rouge, il reste l’art qui nous aide à penser, à comprendre le
monde, nous console de la brutalité de la vie et nous avertit. Émotions, sensations, perception, expérimentation
distanciée, intellection. Telles sont les fonctions du récit, du conte, de la
narration, des images d’art. Émancipatoire,
LIBERatoire !
La petite fille en rouge, A. Frisch, R. Innocenti, Gallimard, 2013
Enfin, pour les amateurs d'art contemporain performatif et photographique décalé, Joël Hubaut questionne le désir et le sexe dans une sarabande rebelle et joyeuse:
Joël Hubaut, exposition L'air d'en rire, Montélimar, 2016
Pour prolonger le plaisir jusqu'au bout de l'été, ces références:
-Le bonheur de la nuit, Hélène Bessette, Laureli/ Léo Scheer, 2006
-L'amour, Marguerite Duras, Folio Gallimard, 1971
-Portnoy et son complexe, Philip Roth, Gallimard, Folio, 1973
-Le nouveau Pinocchio, C. Nöstlinger, A. Saura, 5 Continents, 2010
-Joël Hubaut, Re-mix épidémik, Esthétique de la dispersion, Les presses du réel/FRAC Basse Normandie, 2006
-La longue-vue, Blexbolex, Thierry Magnier, Petite Poche BD, 2006
-Mémed et les 40 menteurs, F. Guillaumond, E. Usdin, Magnard (d'après un conte traditionnel d'Azerbaïdjan), 2002
-Un si gros mensonge, Les classiques du Père Castor Flammarion, illustrations R. Badel (d'après un conte traditionnel tibétain), 2005
« Il n’y a pas d’amour
heureux », La Diane française, Aragon, Pierre Seghers, 1944
chanté par:
Nina Simone https://www.youtube.com/watch?v=GM1u72MNLuI
Jean Guidoni, album Légendes urbaines, "Où allez-vous Nora, Djemila", Tacet, 2017:
et "Djemila", 1980, 38 ans avant:
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